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MIGENNESAGAUCHE 89400
3 octobre 2007

ethique

« Un problème éthique majeur »

Jean-Claude Ameisen, membre du Comité consultatif national d’éthique, nous livre son avis sur les tests ADN dans le cadre du regroupement familial.

Jean-Claude Ameisen est professeur en immunologie à Paris-VII et président du comité d’éthique de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Si le président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), Didier Sicard, s’est exprimé au côté d’Axel Kahn, la question n’a pas fait encore l’objet d’un avis officiel du comité. C’est donc à titre personnel que Jean-Claude Ameisen répond ici à nos questions.

En quoi ces tests génétiques pour le regroupement de familles étrangères posent-ils des questions fondamentales ?

Jean-Claude Ameisen. Je voudrais dire d’abord que j’approuve entièrement les réflexions d’Axel Kahn et Didier Sicard, publiées dans le Monde du 18 septembre. La proposition de conditionner le regroupement familial de personnes immigrées aux résultats de tests génétiques de filiation aurait pour première conséquence de réduire, pour les personnes immigrées, la notion de filiation à sa seule dimension biologique, à l’opposé de la conception de la famille promue jusqu’alors par notre pays. Ainsi, un enfant de parents immigrés, s’il est né d’un autre père, s’il a été adopté ou intégré dans une famille recomposée, serait, du simple fait de la révélation de la nature de ses « biomarqueurs », soudainement exclu de son appartenance à sa famille. Ce projet de loi inscrirait une profonde inégalité entre nous et les autres : un clivage entre deux conceptions radicalement différentes de la famille. Pour nous, une conception ouverte, fondée avant tout sur les liens affectifs et sociaux ; pour les autres, les immigrés, la famille serait réduite à sa seule composante biologique. Ce qui émergerait d’un tel projet de loi est soit une définition complètement différente des liens familiaux en fonction de l’origine géographique de la famille, soit la possibilité d’un glissement vers une remise en question dans notre pays de la définition même de la famille que nous avons construite depuis des générations. Actuellement, il existe des sites Internet qui proposent des tests de paternité, en indiquant comment prélever sur l’enfant, à son insu et à celui de sa mère, le matériel biologique nécessaire (de la salive, quelques cheveux…), ou encore des analyses génétiques réalisées à partir d’une goutte de sang de la femme enceinte contenant quelques cellules de son foetus, pour la réalisation d’un test de paternité avant même la naissance de l’enfant ! Il y a là un véritable danger d’instrumentalisation de la génétique.

La génétique peut-elle répondre à toutes les questions concernant la famille ?

Jean-Claude Ameisen. Au lieu de considérer qu’elle ne peut pas à elle seule répondre à la question « qu’est-ce qu’une famille ? », il y a la tentation de réduire la notion de famille à la seule dimension que la génétique peut explorer. Pourtant, nous savons bien que les liens de parenté résultent avant tout d’un engagement, de sentiments, d’une histoire. Combien de familles, en France, en témoignent : familles recomposées après divorce, enfants adoptés, enfants reconnus par le père, sans parler des enfants nés à partir de dons de sperme, de dons d’ovocytes, des enfants nés d’accouchement sous X… Combien de familles françaises seraient disloquées si on les réduisait brutalement à leurs liens biologiques ? Comment réagirions-nous si un pays où vivent de nombreux Français, comme les États-Unis, décidait soudain de n’accepter sur son territoire les familles françaises, conjoints et enfants, qu’à la condition qu’ils fassent la preuve d’un lien biologique ? Que penserait un enfant si on lui disait brutalement qu’il doit être séparé de ses parents parce qu’on vient de découvrir que ce ne sont pas ses parents biologiques ? Pourquoi envisageons-nous d’appliquer à d’autres ce que nous trouverions scandaleux si d’autres l’appliquaient à nous ? Il suffit d’essayer de se mettre à la place de l’autre pour appréhender la violence que nous lui faisons subir, souvent sans même le savoir. C’est là l’une des bases essentielles de la démarche éthique, qui consiste, comme le dit Paul Ricoeur, à se penser « soi-même comme un autre ».

Pour rappel, quel est l’encadrement juridique actuel de ces tests ?

Jean-Claude Ameisen. Les parlementaires ont décidé, notamment lors de la discussion des lois de bioéthique de 1994 et 2004, que les tests génétiques de filiation ne peuvent être effectués que dans des conditions exceptionnelles, sur demande de l’autorité judiciaire. C’est la base du respect de la conception traditionnelle de la famille dans notre pays.

Ce recours aux tests biologiques n’est-il pas une façon de remettre en cause, pour certains élus UMP, le droit du sol au profit du droit du sang, ce qui serait une autre régression du droit français ?

Jean-Claude Ameisen. Il ne s’agit pas de cela. Ce qu’introduisent les tests génétiques, c’est une redéfinition de la notion même de famille. On assisterait à une régression paradoxale, avec une nouvelle notion d’enfant légitime : un enfant « légitime » serait un enfant biologique, un enfant qui n’aurait pas de lien biologique avec l’un de ses parents serait exclu de sa famille… Dans son dernier livre, Identité et violence. L’illusion d’une destinée, le prix Nobel d’économie Amartya Sen insiste sur le fait que nous sommes tous constitués d’identités multiples - familiales, culturelles, biologiques, sociales, professionnelles… - dont la conjugaison fonde à la fois notre singularité et notre universalité. Il développe l’idée que le fait d’enfermer une personne ou un groupe de personnes dans une seule des multiples dimensions de leur identité, et de la considérer comme leur unique identité, est la source majeure de discrimination et de violence dans le monde. Toute approche qui risque d’enfermer la personne dans sa seule identité biologique pose, en termes de respect de la dignité humaine, un problème éthique majeur.

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